De chez moi, en Provence, on voit la mer, les îles. Là, les Grecs ont débarqué, il y a deux mille cinq cents ans: Hier, car leurs traces sont visibles encore. Et celles des Romains aussi : un trophée, des arènes. Plus haut, sur les collines, il y a le château médiéval, la basilique romane et, sur les rochers de la vallée, les gravures préhistoriques. Et je me disais en voyant les quadriréacteurs des vols internationaux atterrir sur les pistes tracées au bord de la mer, sur l’un des caps que doublèrent les navires grecs et les galères romaines, que toute notre histoire était là rassemblée. Un grand roman, fabuleux: le nôtre, celui de notre civilisation. Alors, j’ai commencé Que sont les siècles pour la mer. J’ai écrit la première phrase : « Un jour, le bateau de Nikos le Grec doubla le premier cap, celui de l’Ouest. » Et, naturellement, parce que je suis aussi historien, les personnages se sont avancés, non pas des héros sonores; mais Blanche-la-Paysanne et Gerber-le-Forgeron, mais Jehan-la-Voix – poète – et sa mère Jehanne-la-Vie., mais Sauveur-le-Feu, bâtisseur de cathédrales et Peuch-le-Rouge, ouvrier rebelle.
Peu à peu, de la cité grecque fondée par Nikos, j’ai vu surgir Luciunum, la ville romaine, devenue Lourciez, la médiévale. Gaumates, le soldat des légions, a donné son nom à un village, Saint-Gaumates, qui existe toujours au pied de la falaise Et le guérisseur Axès-le-Grec, converti au christianisme, est à l’origine de l’abbaye qu’on visite encore dans l’île de Saint-Axès.
Ainsi, j’ai raconté, du jour où Nikos doubla le premier cap à notre présent, ce roman de notre histoire. Mais j’ai voulu que seule la vie en soit le ressort. Pas de référence aux noms illustres, aux célèbres batailles, aux dates, non; mais à des hommes et à des femmes, qui nous ressemblent dans le romanesque de leur vie quotidienne, de leurs espoirs, de leurs luttes et de leurs amours, de leur volonté, dans les temps les plus sombres – et il y en eut des bûchers et des gibets, des révoltes et des répressions, depuis Nikos le Grec ! – de rester hommes. D’être des Justes.