Faire le tour du doigt de Jules Vendange, c’est dérouler la vie d’un jeune Auvergnat, qui, fin septembre 1913, arrive avec ses premières braies longues à l’Ecole normale d’instituteurs. Mais sa formation est brutalement interrompue par sa mobilisation. Incorporé dans une unité de soldats dans l’Aisne, il revient des tranchées avec une jambe en moins mais une conscience en plus. Autant dire qu’en 1919, à l’instar de ses camarades survivants, il n’est plus le même ; plus l’envie de se mettre au garde-à-vous devant le directeur, le prof, les pions, d’obéir, et d’appliquer un règlement souvent absurde... juste celle de décrocher le sacro-saint Béhesse (Brevet Supérieur) qu’il n’obtiendra pas, à la suite d’une « mutinerie » d’élèves-maîtres rétifs à la discipline et à la pédagogie enseignée.
Qu’importe, la vocation est là...
Comment on peut vivre encore quand on est la seule habitante d’un village déserté (Une pomme oubliée, Le tilleul du soir). Comment, revenus mutilés et décorés du Chemin des Dames, de jeunes élèves instituteurs peuvent être traités en enfants dans leur Ecole normale, jusqu’à ce qu’ils aient l’intelligence de jeter leur directeur dans le bassin aux poissons rouges (Le tour du doigt). Comment les habitants de Thiers vivaient du couteau, par le couteau, pour le couteau (Les ventres jaunes, La bonne rosée, Les permissions de mai). Comment il exista dans nos campagnes, dès le IXe siècle, des communautés agricoles qui annonçaient les kolkhozes et les kibboutzim (Les Bons Dieux)... Voilà ce que raconte Jean Anglade. Il est sans conteste à ce jour, l’écrivain vivant le plus typique et le plus fécond d’Auvergne. Roman après roman, il nous conduit à la découverte de la patrie natale d’Alexandre Vialatte et d’Henri Pourrat. En fait, le régionalisme d’Anglade, comme celui de Maupassant, de Giono, de Pagnol, est universel : Ma vraie région, se plaît-il à dire, ce n’est pas l’Auvergne, c’est l’homme.