J’avais l’habitude d’être celle qui chasse. Quand je voyais une chose que je désirais, je la suivais, je la humais et je me l’appropriais.
Par « chose », je parle d’un « humain » ;
bien entendu. Je les aimais jeunes, talentueux et de sexe masculin. Plus ils étaient beaux, plus cela me plaisait. Cela adoucissait ma tâche. Je ne devais pas les quitter des yeux jusqu’à ce qu’ils meurent, alors autant qu’ils fussent beaux.
Ce n’était pas de la cruauté. Plutôt de la générosité. Chacun avait supplié pour obtenir ce que je lui avais donné : la beauté, l’inspiration et la mort. Je transformais leur vie ordinaire en quelque chose d’extraordinaire. J’étais ce qui leur était arrivé de mieux dans leur vie.
Vraiment, j’étais plus une bienfaitrice qu’une chasseuse.
Mais aujourd’hui, dans cette forêt aux couleurs automnales, je n’étais ni l’une ni l’autre. J’avais été convoquée, tirée de ma forme désincarnée, pour être plongée dans un vrai corps. Je ne voyais personne dans les parages, mais je pouvais sentir les vestiges d’un envoûtement.
Je pouvais entendre mes pas dans les feuilles mortes, et le son m’inquiétait. Je me sentais vulnérable et bruyante parmi ces arbres aux feuilles rougies, exposée ainsi à la vue de tous dans mon corps de jeune fille humaine. Je n’y étais pas habituée. Une odeur de feuilles et de thym embrasés flottait autour de moi, telle une invitation aux envoûtements et aux feux de joie. Il me suffisait de trouver une pensée humaine à laquelle m’accrocher, pour pouvoir quitter ces lieux.