L’aube de ce siècle en Algérie. Le quatrième volume de la grande épopée romanesque de Jules Roy fait revivre, en quelques semaines du printemps 1901, une époque, un drame, un homme.
L’homme c’est Dematons, un instituteur qui a quitté l’Aube pour venir avec son fils et après deux divorces, enseigner en Algérie Il est un de ces magnifiques personnages de la IIIe République dans sa jeunesse : apôtre laïque, fervent de la Déclaration des droits de l’homme, prêt aux dévouements humanitaires. Il est aussi un homme dans la force de son âge, de son désir, de ses passions. Il va découvrir, apprendre à travers les violences de la terre algérienne quelques-unes des injustices de son temps.
Le drame, c’est le déchaînement des racismes sur une terre de bonheur. Les colons, même les plus modestes, continuent de mépriser et de craindre Arabes et Kabyles. Rares et suspects sont ceux qui osent rêver d’un commencement de fraternité. Et sur ce fond de méfiance, voilà que s’enflamme, en ces années à l’intérieur du camp des « infidèles », la haine antisémite. Drumont, député d’Alger, et Max Régis, élu maire, excitent la populace à ces « youpinades » qui sont la forme méditerranéenne du pogrom. Les pires injures couvrent les journaux et les murs. Les pires sottises nourrissent les conversations. Choisi, presque malgré lui, comme protecteur par un négociant juif qui vient de se réfugier et se suicider chez lui. Dematons est contraint de se poser loyalement le problème d’affronter bêtise et fureur. « Tous les hommes naissent libres, et égaux en droit » : le beau principe qu’inscrit la République au fronton de ses institutions, le « maître » de la Mitidja découvre combien il est difficile à imposer comme pédagogue, à vivre comme homme…
Enfin une époque : cette « belle époque » traversée de tant de forces et de scandales, de générosités et de colères, d’illusions et de sordides réalités. Jules Roy nous en offre un tableau surprenant, parce que nouveau, vu à travers la toute petite bourgeoisie d’Algérie, en cette période de l’histoire où elle commence déjà d’aggraver les malentendus et les dédains dont ses petits-enfants seront finalement les victimes.