Ridicule s’efforce de présenter le tableau d’une société où l’esprit, le bel esprit, le bon mot jouent un rôle essentiel. Cette société s’organise en un lieu, centre donc de « l’esprit »: la Cour, centre aussi d’une monarchie absolue qui y a concentré l’ensemble de ses instances de fonctionnement. Pour accéder au pouvoir, aux prébendes, aux bénéfices, aux privilèges et gratifications, pour approcher le Soleil (ou ce qu’il en reste), il faut accéder à ce lieu. Montesquieu a montré comment la monarchie absolue a transformé le lien de vassalité en esclavage, comment le noble désormais inutile est devenu courtisan. Voltaire dans L’Ingénu montre que l’hyper centralité du système induit l’isolement total du roi, séparé des réalités par un rideau d’instances administratives et de cercles de filtrages.
Pour accéder à la faveur royale, lorsqu’on ne fait pas partie du premier cercle, il faut se faire remarquer, il faut briller, quelles que soient la nature et la motivation de la requête, qui peut n’être pas toujours égoïste ou intéressée. Comment y parvenir? Par l’esprit, justement, par le verbe. Mais ce verbe pour être utile doit pouvoir se déployer en situation, devant le roi et ce grâce à des intermédiaires: la comtesse de Blayac par exemple...
Ridicule peint ce dispositif: dans le microcosme qui régit le gouvernement des affaires, des désirs et des intérêts, l’esprit est un moyen, une arme qui permet d’obtenir, de réussir. Mais il s’agit d’une guerre. Le champ de bataille est connu, il faut une stratégie, des alliés; on affronte des rivaux, des ennemis, on attend l’occasion propice dans un combat qui ne dépend plus de la valeur du corps (comme dans les tournois d’autrefois) mais dont la dimension purement verbale (la « joute ») n’exclut nullement qu’il y ait des vainqueurs et des vaincus. Au vainqueur les faveurs, toutes les faveurs jusqu’aux « dernières ». Au vaincu, la mort sociale, le « ridicule » dont on ne se relève pas.