(...)l’action se situe aux États-Unis en l’an de grâce 2025, dans une société où on a clairement creusé les inégalités à la pelleteuse : D’un côté, les riches dans des quartiers ultra sécurisés avec tout le confort moderne, plein de bombasses en forme de putes et même de la vraie bouffe.
De l’autre, les pauvres dans un environnement totalement insalubre, ultra violent et injuste, sans solidarité, sans scrupules, sans nourriture, sans protection et sans espoir.
Les premiers maintiennent les seconds la tête sous l’eau par la drogue, le porno, une sorte de sélection naturelle imposée par la pollution de l’air et l’obligation de laisser la télé allumée 24/24 diffusant un enchaînement sans fin de jeux de téléréalité tous plus dégueulasses les uns que les autres (du style “tiens ! si j’me faisais bouffer volontairement par un croco / si j’utilisais ma défaillance cardiaque ou respiratoire pour calancher en direct, histoire que bobonne puisse gagner 3 ronds sur le spectacle de ma mort et acheter du Doliprane aux gamins ?”).
Baignant du mauvais côté de cette société, notre héros, Ben Richards, a vraiment une vie de merde : il a perdu son taff et tout espoir d’en retrouver un, vit dans un quartier des plus pourris avec sa femme obligée de faire des passes, et sa fille de 18 mois en train de crever lentement mais sûrement de la grippe. Pas de pognon, pas de médecins, pas de médicaments, évidemment. C’est donc dans cette ambiance de loose intégrale qu’il décide de se porter candidat à un de ces nombreux jeux fort sympathiques. Il va ainsi être sélectionné pour participer à “La grande traque”, émission phare s’il en est : le candidat en cavale doit simplement essayer de ne pas finir en charpie pendant un mois pour empocher le pactole. Il sera bien sûr traqué par toute la police du pays et la population est invitée (mais en a-t-elle vraiment besoin ?) à le dénoncer moyennant récompense. A priori, aucune chance d’en sortir vivant donc.
Alors ce bouquin fait partie de ceux qui sont tellement bien construits et écrits que, quand on commence à les lire, on n’arrive plus à les lâcher (et on se retrouve à la dernière page au beau milieu de la nuit en se disant que c’est mort pour dormir sereinement après ça, qu’on va se taper une super sale tronche et qu’on va le payer bien cher au matin).
Là où j’avais voulu faire ma belle en lisant “Marche ou crève”, genre “ouais, ça va, ça passe, c’est pas si cauchemardesque que ça Stephen King, ça donnerait même à réfléchir sur les dérives de la société bla-bla-bla”, je me suis vraiment pris celui-là en pleine gueule (“Mais c’est qu’il écrit pas pareil pour les ados que pour les adultes, le bougre !”). Et “Running Man” est définitivement bien plus sombre et bien plus hardcore que son précédent roman traitant du même thème.
On pourra certes par moments penser que “Richard Bachman” semble céder à la facilité en donnant dans l’ultra-larmoyant (fait pas bon être une gamine de moins de 5 ans par chez vous) ou dans l’ultra-gore un brin poussif (il serait pas un petit peu bordélique le Ben
à laisser tout traîner comme ça à la fin
?).
Mais si l’on est légèrement sensible sur les bords (ou en plein bouleversement hormonal), ce bouquin prendra franchement aux tripes : Tout d’abord, par le mécanisme narratif avec chapitrage sous forme de compte à rebours qui vous mène inexorablement à l’évidence (ou l’on constate que toutes les interrogations laissées en suspens et toutes les hypothèses que l’on s’était silencieusement formulées en début de roman trouvent leur confirmation à l’heure du dénouement, alors même que l’auteur avait réussi à nous faire secrètement espérer qu’il pouvait ne pas y avoir pensé lui-même (ou fait une ellipse volontaire parce que ça n’était pas si important) et que ça pouvait se terminer autrement).
Par la vérité crue de cette société, ensuite, sans foi ni loi, et l’absence totale de compassion ou de rédemption.
Par la destruction totale de toute forme de libre arbitre, enfin, qui entraîne la déshumanisation des masses par le biais de l’écran, qui ne fait qu’exacerber ce qu’il y a de plus latent et de plus vil chez l’être humain tels que la soif de sang, la fascination morbide et le besoin vital d’être mû par la haine commune d’un total inconnu tout désigné, cette décadence et cette déchéance programmée et inévitable.
En conclusion, ce livre met en parallèle la trame fictionnelle, aussi sordide que prévisible (sauf pour le héros qui ne voit rien venir, comme quoi la trouille et la désespérance pourraient annihiler l’intelligence, si grande soit-elle) et une autre trame, plus politique et idéologique cette fois : il pose ainsi d’un côté le problème du contrôle de l’esprit humain par la pensée unique (un régime totalitaire n’est-il pas avant tout, implicitement ou explicitement, une dictature des idées ?) où l’on maintient bien la population dans sa propre merde (la poussant à se prêter au jeu par profond désespoir et par appât du gain) et de l’autre, l’importance tellement actuelle de la liberté d’expression, au nom de laquelle il devrait être véritablement interdit d’interdire, en nous rappelant que nous avons encore le choix de regarder, de lire, ou pas.