2020-09-08 21:03
Philip Roth n’a pas volé les nombreux prix littéraires qui ont jalonné sa carrière : La Tache fait montre d’un style exemplaire sur fond d’un thème toujours d’actualité et soulève des questions éthiques, philosophiques et sociales nécessaires et qui font mouche.
Ce livre aborde le racisme dans la société américaine des années 30 aux années 2000 du point de vue physique, relationnel, linguistique et communautaire à l’aide d’un personnage qui tourne le dos à ses origines. Ce choix va changer à jamais le cours de sa vie et précipiter d’une certaine manière sa fin, tout comme interroge grandement la perception que les Noirs ont d’eux-mêmes dans un monde géré par les Blancs, celle que les Blancs ont sur les Noirs et les Noirs sur les Blancs. On embarque dans des réflexions sur l’intégration, la perception de soi, les valeurs et la fierté d’être qui l’on est ou au contraire le jeu dans lequel on peut rentrer pour se créer une nouvelle identité et donc un nouvel avenir.
Ce livre développe l’évolution de la perception et des applications du racisme au fur et à mesure des époques, montre une forme de conflit générationnel et ethnique sur la notion de mérite et d’estime de soi. Il soulève des questions qui sont malheureusement toujours d’actualité, sur la couleur de peau et la possibilité qu’une teinte plus claire ou foncée puisse changer drastiquement une vision étriquée collective. Et c’est l’une des forces de ce roman : narrer un racisme du passé toujours en cours des décennies après son écriture. Car on l’a bien vu : le racisme, en cette année 2020, est toujours vif et bien présent malgré toutes les lois et avancées mentales sur le sujet. La violence verbale qu’on peut encore voir à l’encontre de toute personne qui n’est pas blanche, quelle que soit la teinte de peau, fait froid dans le dos (repensons aux commentaires horrifiques que s’est pris Meghan Markle à l’époque de son arrivée dans la famille royale, ou ceux totalement désobligeants et inadmissibles que la candidate à la vice-présidence Kamala Harris se mange de la part de cet irascible et profond mysogine/raciste/etc. de Donald Trump depuis sa nomination ; les exemples sont infinis...).
Pour toutes ces raisons, ce livre assez singulier est à lire.
Mais certains points négatifs sont tout de même à soulever, des points qui empêchent d’aimer vraiment ce livre.
Tout d’abord, le synopsis situe l’histoire au coeur du scandale Monica Lewinsky à la Maison Blanche en 1998. L’on sait tous à quel point cette histoire a pu remuer l’Amérique, ses moeurs et ses croyances (quand on compare à ces quatre dernières années et à la tentative d’impeachment de Trump en janvier 2020, c’était de la gnognotte à côté), sauf qu’il n’en est pas fait mention énormément dans le livre. Tout juste quelques discussions sur le sujet sont abordées par des personnages non importants, mais au final l’auteur n’utilise pas cette histoire dans un but précis, ni ne la raccorde d’une manière ou d’une autre à l’intrigue développée. Tout juste pouvons-nous dresser un mini parallèle entre les relations Clinton/Lewinsky et Coleman/Faunia, mais ça ne va pas grandement plus loin, car on ne peut pas spécialement dire que Faunia, beaucoup plus âgée que la jeune Monica à l’époque des faits, était impressionnée par Coleman... Du coup, on se demande bien pourquoi il est fait mention de ce fait-divers si c’est pour ne pas l’utiliser à fond.
Ensuite, et c’est la chose la plus marquante, le style de Roth, pourtant nickel dans son phrasé, a tendance à basculer dans la sur-utilisation du courant de conscience et de l’over-détaillisme (c’est apparemment pas dans le dictionnaire, je néologise), quand à presque chaque intervention de personnage on a droit à 10 voire 20 pages d’idées continues sur la vie et les pensées dudit personnage. Pas de problème au début, mais ça devient très vite tellement répétitif que ça gâche la lecture au point de lasser. D’autant plus que nombre de ces informations sont totalement inutiles pour l’intrigue globale ou l’avancée du récit.
Ensuite, sur presque 500 pages en version poche, le secret nous est révélé plus ou moins au bout de 100 pages. Sur le moment, c’est effectivement du lourd. Mais le récit se poursuit, donc on en attend plus. Mais on n’en a pas plus. L’effet est donc frustrant car le livre avec justement tous ses détails est long, alors qu’on a déjà touché au fond du problème.
Enfin, la manière dont se termine le roman a de quoi laisser coi. Je n’expliquerai pas à quel point, mais je dirai simplement que la fin n’a rien de satisfisant, encore une fois parce qu’elle arrive longtemps après le moment culminant du récit et qu’elle n’apporte aucune réponse spécifique au comportement et aux actions du personnage de Les, ex-mari dangereux de Faunia. On dirait vraiment le genre de fin où l’auteur n’en peut plus et ne sait pas comment finir et se dit “bon bah, ça ira avec ça”.
Alors oui, au final on aime mais... On aime pour la qualité d’écriture ainsi que la profondeur du message et les implications sur le racisme d’hier et d’aujourd’hui, on aime moins à cause du style répétitif et de la lenteur de l’intrigue dont l’énigme est révélée trop tôt.
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