2013-01-31 10:34
Le roman débute quasiment par l’élément perturbateur : le décès inopiné de Barry Fairbrother, conseiller paroissial de Pagford. Au cataclysme que cela déclenche, évidemment, au sein de sa famille effondrée, J.K. Rowling ajoute petit à petit les effets du raz-de-marée que cette mort va déclencher au sein de la bourgade. Et le lecteur est loin d’imaginer, lorsqu’il débute sa lecture, les innombrables conséquences qu’aura le décès de ce personnage. Car si la bourgade feint la consternation et l’émoi, les vautours rôdent dans l’ombre et se préparent à fondre sur la place à prendre au conseil, tandis que le fragile équilibre qui maintenait la cité dans la paix jusque-là tombe peu à peu en lambeaux.
Une à une, les pièces du puzzle s’emboîtent, et on voit comment s’agencent les destins les uns aux côtés des autres. Il y a, bien sûr, les autres conseillers. Du ventripotent Howard, résident historique de Pagford se prenant pour le maire, à Parminder Jawanda, le médecin de famille du village en butte à la xénophobie de ses concitoyens, il y a un fossé, représenté par feu Barry Fairbrother. Car celui-ci et ses partisans (dont Parminder) œuvraient ardemment pour le maintien de la cité des Champs - perçue comme une zone de non-droit, proverbialement habitée par des junkies et autres rejetés de la société bien-pensante pagfordienne - et de sa clinique de désintoxication de Bellchapel, dans les bornes de Pagford. Le décès, provocant une vacance fortuite au sein du conseil met bien évidemment le feu aux poudres et lance les conseillers dans une grande campagne de recrutement (chaque banc souhaitant un poulain à ses couleurs).
A côté de toute cette agitation, il y a les adolescents, qui suivent péniblement les traces de leurs parents, et tentent de garder la tête hors de l’eau, dans l’atmosphère étouffante de la bourgade, comme dans n’importe quel autre patelin campagnard. Plus peut-être car, à Pagford, il n’y a que les apparences qui comptent. Les on-dit suffisent à faire et défaire les réputations, en un clin d’oeil. Et c’est bien là toute la question.
Passées quelques 200 premières pages servant à établir le décor et mettre en place les personnages, l’affaire se corse. Les langues se délient, les vieilles jalousies ressortent. Sous un vernis de bonnes manières, les habitants rivalisent d’ingéniosité pour mettre à bas leurs adversaires, afin de satisfaire des ambitions somme toutes peu élevées. C’est là que réside le coup de maître de J.K. Rowling : elle parvient à rendre captivantes les destinées pagfordiennes, alors qu’elles n’ont rien de particulièrement glorieux, ni même intéressant. Pourtant, sous la plume de l’auteur, on se passionne tour à tour pour l’épicier obèse, les femmes délaissées et, surtout, pour les adolescents par qui tout - et parfois le pire - semble arriver ; des attentes de leurs parents, de leurs espérances et de leurs frustrations ô combien dévorantes jaillissent des plans désespérés, qui contrarient l’ordre sagement établi par leurs aînés. Si certains personnages sont quelque peu stéréotypés, la plupart sonnent justes et vrais et portent parfaitement le complexe écheveau du récit. Il arrive un instant où l’on sent que chaque événement concourt à une catastrophe que l’on sent imminente, brutale et terrifiante. La tension monte crescendo, jusqu’au final, aussi terrible qu’émouvant. Avec cette chronique pagfordienne, J.K. Rowling plonge ses lecteurs dans les bassesses de l’esprit humain et n’épargne rien, au cours de cette sordide comédie de mœurs, dont la férocité n’égale que la cruauté. Dans un registre tour à tour noir, tragique, ou vaguement satirique, elle croque habilement un portrait peu flatteur, applicable à un grand nombre d’agglomérations. C’est à la fois révoltant et captivant. Dans un souci de vraisemblance, l’auteur n’hésite pas à avoir recours à un vocabulaire cru, voire grossièrement ostentatoire. C’en est déconcertant de réalisme et, pourtant, on continue de lire, proprement fasciné par ce portrait sans concessions. La fluidité et l’élégance de la plume y sont certainement pour beaucoup. Le style de l’auteur a gagné en maturité, et rend le livre aussi facile que plaisant à lire, malgré un sujet proprement dramatique. Bien qu’il soit dépourvu d’actions fracassantes, Une Place à prendre est un roman bouleversant, qu’il est difficile d’oublier une fois la dernière page tournée. Preuve, si besoin était, que J.K. Rowling est une conteuse confirmée, au talent certain, qu’il fut éminemment agréable de retrouver.