L'anomalie

Wouah, sous bien des aspects.
Habitant sur un autre continent, je suis de loin les news françaises, échappant par là-même aux tapages médiatiques divers et variés, y compris ceux sur les prix littéraires auréolés de gloire et de chiffres de vente titanesques (néanmoins je dois à défaut me farcir les informations locales, ce qui est déjà amplement suffisant vu le contenu). Ajoutez à cela que je fuis généralement ces prix souvent pompeux et gonflés, de toute façon généralement biaisés.
C’était sans compter sur la réception d’un cadeau de noël par courrier nappé de moutarde made in france (ce livre avait déjà une histoire avant même que je l’ouvre) et l’ambition croissante de faire une vidéo pour nos amis anglophones sur les fameux prix Goncourt.
L’occasion fait le larron, cadeau bien reçu, mission acceptée.
Et voilà, wouah.
Pas parce qu’il est absolument génialissime à 100%, car ce n’est pas le cas.
Mais quand même...
On commence avec des ouvertures de chapitres à la Guillaume Musso (lieu, jour, heure), ce qui ne sent pas bon. Pourtant très vite, l’écriture de qualité captive. Le texte est cynique au possible, satirique en partie, très ironique sur le fond, avec même des jeux de mots jubilatoires. Tout ce que j’aime. On nous présente des personnages forts, des situations aussi bien banales que plus inhabituelles. Le style est très plaisant, soigné tout en restant moderne. Les contradictions font mouche, les critiques sont à la fois subtiles et claires, toujours hyper bien placées (mais qu’est-ce que j’ai ri à chaque fois qu’il a mentionné le Trump président sans jamais pourtant préciser son nom, contrairement aux autres dirigeants de la planète !). Le fond est à la fois fantastique et philosophique, plutôt original comme contenu pour un Goncourt d’ailleurs.
Il faut par contre absolument lire ce livre dans son contexte. Et son contexte, c’est maintenant. C’est très très important. Et je m’aperçois que j’ai eu une chance folle de pouvoir le lire en février/mars 2021, parce que ce laps de temps rentre pile dans l’époque de narration, capitale pour le développement du récit mais surtout en résonnance directe étrange et déstabilisante avec les évènements historiques récents (la pandémie, et surtout les évènements du 6 janvier 2021 au Capitole, date qu’on n’oubliera pas de sitôt aux US). C’est une chance folle pour moi qui lis en moyenne mes bouquins au bout de 5 ans d’attente sur les étagères.
Ce livre écrit en 2019/2020 et publié à l’été 2020 situe son histoire entre mars et octobre 2021, dans un avenir imminent qui se rapproche de jour en jour, mais qui du coup prédit plus ou moins et de loin avec une réécriture prophétique certains évènements arrivés depuis, notamment et surtout depuis l’élection américaine de novembre 2020. La seule bourde historique de prédiction que l’auteur a faite, c’est de donner un second mandat à Trump (enfin... bonjour 2024.....) en le mettant à la tête des US dans son histoire située en 2021. Un chapitre en particulier vers la fin fait froid dans le dos en montrant jusqu’où l’extrémisme religieux et l’idolâtrie aveugle peuvent mener (prophétique vous dis-je), et donne d’ailleurs le ton pour les dernières pages. C’est en outre là, dans les dernières pages et en particulier les échanges épistolaires entre personnages, que Le Tellier perd des points, car son mystère n’est pas tout à fait résolu (ou plutôt si, en partie, en fonction de comment on interprète les dernières lignes, je ne peux vraiment en dire plus) et l’atmosphère générale installée jusque-là en prend un coup pour rentrer dans un sentiment plus triste et surtout plus fataliste. Un dernier soubresaut, toutefois, redonne ses lettres de noblesse à ce concept littéraire qui à mes yeux n’a quand même pas volé l’attention qui lui est dédiée.
C’est un livre riche dans son propre univers, il y aurait beaucoup de choses à dire, notamment sur des références culturelles générales ou littéraires (Slimboy m’a grandement fait penser à ce SojaBoy, un nigérian vu dans la téléréalité 90 Day Fiance en 2020 qui est une star de la chanson à son niveau local, j’ai trouvé ça du coup hyper authentique (ou inspiré de ??) !). Si au départ il est construit comme un thriller à l’américaine, la suite lui donne plutôt un caractère philosophique et interroge sur l’essence même de l’existence humaine, ainsi que sur les effets de la religion sur la perception de la science (plus actuel, on fait pas), tout en développant des thèmes extrêmement forts comme l’acceptation de l’homosexualité et l’abus sexuel de mineurs. La mise en abyme sur l’anomalie est elle aussi assez juste et bien menée, même si on aurait aimé en savoir plus.
Si vous l’avez déjà entre les mains ou si vous voulez le lire, un conseil : n’attendez pas. N’attendez pas 2022, 2023, voire même tout simplement fin 2021. Le présent dans lequel nous sommes va impacter votre lecture et se révèle considérable dans l’appréciation du livre en général, sous toutes ses coutures.