2015-07-04 19:57
J’avais comme souvenir de ma première lecture il doit y avoir plus de quinze ans la même sensation que lorsqu’on se réveille le matin et qu’il nous est impossible de se rappeler de nos rêves : un vide absolu, le trou noir, si ce n’est la vague impression que je n’avais pas tout saisi et que je n’avais pas forcément bien aimé.
Quelle est désormais mon sentiment ? Aujourd’hui adulte, j’ai tout saisi mais je n’ai toujours pas forcément bien aimé.
Le style de l’auteur ne vaut pas franchement le détour et la traduction approche gentiment du centenaire, ce qui, vous me direz, pour les ayants droits, est une bonne opération financière mais pour les lecteurs une gageure monumentale voire inexplicable ; ce qui, dans une autre perspective, signifie que les maisons d’édition ont la flemme de payer un nouveau traducteur bien que récemment de nouvelles traductions du Hobbit et de Gatsby aient été publiées à grand renfort du célèbre argument arguant de cette fameuse barrière fatidique des 70 années après lesquelles une traduction devrait être revue. Alors pourquoi celles-ci mais pas celle-là ? Et si on brandissait ce fameux argument pour Huxley ?? Mais visiblement on préfère le confort à l’effort... Bref passons, puisque nos voix se perdent dans le néant de l’indifférence...
Huxley s’efforce dans la première partie de nous présenter le quotidien normalisé des générations de cette époque futuriste : le sexe libéré, la possibilité de se déplacer en hélicoptères ultrarapides partout dans le monde, la production humanoïde dans des usines, l’absence de sentiment et le bonheur à profusion dans un bain de vapeurs anti réflexion pour des êtres conditionnés à ne pas utiliser leur cerveau. Mais derrière cet écran de fumée science-fictionnel, l’auteur présente des aspects de la société pourtant bien contemporaine de critique d’autrui, d’empoisonnement à la drogue qui fait planer pour oublier le quotidien, d’organisation en castes sociales et surtout de chasse à la différence. Huxley nous présente en réalité un monde pas si différent de celui dans lequel on vit, avec notamment la visite de camp des Sauvages comme si on visitait un zoo, sans parler du terme “sauvage”, lui-même utilisé peu avant l’époque de la publication de ce livre par l’homme blanc dès lors qu’il croisait toute communauté ou civilisation qui n’était pas la sienne. L’introduction de John appelé M. le Sauvage à Londres fait furieusement écho à celle de la nommée Vénus Hottentote, exposée partout comme un vulgaire animal à toute la société européenne du début du 19ème siècle. Tous les passages vers la fin du roman dans lesquels des touristes viennent voir John, retiré dans un phare abandonné, comme s’ils se rendaient au zoo, applaudissant au moindre verbiage étrange et s’extasiant de le voir s’énerver telle une horde de gamins mal élevés attendant, les mains collées aux vitres séparatrices et tapant irrespectueusement dessus, que le singe fasse de jolies galipettes ou arrête de leur tourner le dos, examinent à la loupe et réprouvent le comportement humain d’aujourd’hui... La critique de Huxley n’est pas du tout voilée et est surtout révélatrice de certains vices et voyeurismes de la civilisation contemporaine, que ce soit celle de 1932 ou de 2015...
En somme, l’aspect le plus marquant de ce roman est sans conteste sa fin, qui amène le différent, le solitaire qui ne suit pas le banc de poissons, à choisir la mort. Certains regards de nos amies les bêtes dans certains zoos loin d’être à ciel ouvert, derrière des grillages éminemment serrés et dans des espaces exigus, en disent long sur ce qu’ils peuvent penser de leur condition.
Le passage assez long précédent la fuite de John sur la religion et ce que les hommes perdent à ne pas la connaître est un peu trop propagandiste (bien qu’extrêmement ancré dans son époque où bien plus de gens qu’aujourd’hui pratiquaient la religion chrétienne en Europe) et impose beaucoup trop l’idée que la vie sans Dieu est difficilement imaginable pour tout un chacun.
Nous pourrions aussi noter la critique du diktat de la beauté à peine anticipée avec la répétition de la phrase “elle est pneumatique” comme critère d’appréciation de la part de ces messieurs, voire même comme critère de confiance de la part de ces dames qui vantent leurs charmes.
Nous pourrions en outre noter en conclusion que toute dystopie, ancienne ou récente (et particulièrement en ces temps où le genre explose), s’évertue à organiser ses populations en groupes/castes. Critique de la hiérarchisation sociale, mais surtout avertissement envers la société moderne pour tenter de lui faire comprendre, décidément et malheureusement en vain, que les êtres humains sont tous égaux...
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