2016-10-15 19:28
Toi qui cherches à revivre la magie des Fabuleuses aventures d’un indien malchanceux qui devint milliardaire (qui n’est magique que grâce à sa version cinématographique Slumdog Millionnaire, le film étant 20 fois mieux que le livre), tu peux reposer ce livre où tu l’as pris. Episode de lecture en quatre actes : Acte I.
Tu en as marre de tes lectures, tout n’est que déception. Alors, tu te tournes vers un bouquin qui t’attend depuis deux ans, qu’on t’a prêté, d’un auteur que tu avais déjà lu, un auteur Indien qui écrit sur l’Inde. Ça te fait saliver. Ça, c’est un bouquin que t’avais envie de lire. Alors tu ouvres, tu tournes les pages, et même si force est de constater que ce n’est pas de la grande littérature et que ce n’est pas le livre du siècle non plus, c’est frais et ça change de tes habituelles lectures un peu trop lourdes, ça sent l’aventure un brin désuète et cocasse, la mission totale sortie de nulle part mais, eh, c’est ça, la fiction. Acte II.
Et alors que tu te dis que ce bouquin a l’air franchement pas mal, tout s’écroule. Tout s’écroule dès le… 1er chapitre, après le prologue avenant. Là, quand tu lis comment l’héroïne Sapna règle en moins de dix pages un problème gravissime sur le mariage forcé et le poids de traditions moyenâgeuses en transformant une rencontre fortuite dans un autobus en catalyseur de force médiatique salvateur, ce qui permet à deux jeunes incompris de convoler à la fin du chapitre de manière heureuse et légère en justes noces, là, tu sais que tu n’as pas affaire à un roman mais à un roman de gare. Voire pire, de la chicklit améliorée. (Y a quantité de gens qui adorent la chicklit : les princes charmants modernes et les filles modernes dans un monde rose bonbon moderne qui fait rêver les gens modernes qui veulent échapper le temps d’une lecture à leurs problèmes modernes. Je comprends, on a parfois besoin de s’évader et de ne pas se prendre la tête avec un livre. Mais moi, c’est typiquement ce que j’évite, parce que c’est souvent creux et vide de message. Chacun sa came, on va dire.) Améliorée pourquoi ? Parce que l’auteur n’a pas non plus un style à coucher dehors. Et même si le lyrisme est absent (en même temps, on ne peut pas spécialement dire que c’était le but stylistique recherché), on sait pertinemment qu’il existe pire dans la sphère littéraire. Du coup, tu navigues de chapitres en chapitres, tous prouvant à chaque fois d’une manière plus navrante que les autres que tu es loin, effectivement, d’un roman de qualité, avec une résolution de chaque problème toujours plus invraisemblable. La fin desdits chapitres est quant à elle toujours calquée sur le même principe : la belle Sapna ne sait candidement jamais le bien qu’elle a causé, et dans un dialogue ridicule, son mentor lui répond à la manière d’un magazine féminin qui propose une analyse après un quiz de type « quel genre de -- êtes-vous ? » et d’un jeu pour gens qui s’emmerdent : « Bravo ! Vous avez réussi le niveau 1. Grâce à votre ténacité, vous êtes capable d’être tenace. Et être tenace, c’est bien. » Les retournements de situation et les évènements sont toujours tellement énormes d’improbabilité que tu hallucines tout du long. Acte III.
Alors, déçu, cahin-caha, tu poursuis ta lecture et tu fulmines. Régulièrement tu balances des « non mais sérieux ?? », et tu te confortes dans ton appréciation de l’acte II. Mais le drame était encore à venir. La fin approche, et tu te retrouves avec en face de toi non pas un simple roman de gare pour te faire rêver, mais un roman de gare policier !! Et l’héroïne, grâce à un ingénieux procédé pas du tout élimé en littérature et surtout gros comme un manoir hanté, se retrouve au cœur d’une affaire glauque qui prend sens quand elle comprend tout, tout d’un coup. Ahhh, merci la petite pièce qui roule et se faufile dans les lattes secrètes ! Et Sapna de se retrouver face au méchant pas beau responsable de tous ses problèmes. Et tandis qu’elle est « convaincue de [se] trouver en présence du mal absolu » sur fond d’orage menaçant, tout s’arrange en quinze lignes grâce au flic que t’as pas vu depuis 80 pages et à la journaliste qui a bien évidemment plus d’un tour dans son sac, et l’orage, bien sûr, laisse place à un magnifique arc-en-ciel une fois le danger écarté. C’était quoi, déjà, ce que tu disais ? « Non mais sérieux ??? » Acte IV.
Tu refermes le bouquin et tu fais le bilan (décidément, la roue n’a pas tourné concernant tes lectures). Ça fait tellement mal aux fesses de voir des sujets aussi difficiles que le mariage forcé, le travail des enfants, la corruption, la politique véreuse, le trafic d’organes, l’abus de pouvoir ou le harcèlement sexuel être emballés de niaiseries ! A ce niveau, ce n’est plus de la déception, on approche de l’arnaque. La déception fait d’ailleurs place à la consternation, puis au regret. Le regret que des sujets si graves soient occultés par une intrigue si légère. Même l’aspect monétaire de l’histoire, qui a pourtant tout son attrait (qui n’a jamais rêvé d’avoir un job ultra bien payé, une maison digne d’un palais et de l’argent à ne plus savoir qu’en faire ? Que serions-nous alors prêts à faire pour obtenir ces rêves ? Là aussi, il y aurait de quoi alimenter des pages et des pages…), se voit transformé en fable chicklitienne. Quant à la traduction, Roxane Azimi, qui a pourtant fait du boulot loin d’être dégueulasse avec d’autres livres, déçoit avec un laxisme qui pointe le bout de son nez par-ci par-là. Un travail éditorial qui aurait pu être plus précis.
Quant à l’auteur, connu pour avoir utilisé dans son premier ouvrage l’émission « Qui veut gagner des millions ? », il tente de réchauffer son succès précédent en n’hésitant pas à placer deux de ses personnages féminins dans le contexte du télé-crochet « Popstar », le genre de téléréalité qui a le vent en poupe et qui fait vendre (et surtout fantasmer des millions). La répétition est plutôt culottée ! Même quand il cherche à s’amuser un peu en citant son personnage célèbre des Fabuleuses aventures d’un Indien malchanceux qui devint milliardaire, Ram Muhammad Thomas, celui-là même qui remporte le jeu représenté par notre ami Jean-Pierre Foucault en France, il devient lourd et présomptueux en le citant plusieurs fois, notamment en faisant discuter ses personnages de son adaptation ciné :
« - A quoi bon perdre une semaine à lire un livre quand on peut avoir sa version cinématographique en deux heures ? on tourne plein de films aujourd’hui qui sont tirés d’un livre.
- Vous avez vu Slumdog Millionnaire ?
- J’ai bien aimé. Mais, parce que c’est un Blanc qui l’a réalisé, les gens d’ici sont jaloux. »
Moyen de remettre les pendules à l’heure, de répondre à des commentaires malvenus, voire juste de faire sa propre pub ? Une mise en abyme toujours est-il quelque peu déplacée.
Pour ma part, le message que je retiens de votre livre, cher Vikas, c’est qu’il est certain que le film adapté de votre premier livre est bien meilleur que votre dit livre, et que si d’aventures celui-ci devait voir le jour à Hollywood, je n’irais certainement pas me payer une place. Quoi que, avec du bol, il y aurait peut-être moyen qu’ils améliorent le tout, comme pour le premier…
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