Pour une fois je ne vais pas faire une critique, mais deux : la première très générale, la deuxième sous spoiler uniquement. Ce livre est très particulier, j’aurais du mal à en parler correctement sans trop en révéler et je ne veux pas vous infliger des spoilers à chaque phrase.
Ce qui rend ce livre très particulier, c’est le principe du conte créateur, “Le mythe comme réalité”. Ce n’est pas une invention de Anna Combelles, mais ce “procédé” bien particulier est très peu employé dans la littérature de fiction. Probablement car il est complexe à maîtriser pour rester cohérent et compréhensible. Je n’en ai qu’un exemple en tête : R.A. Heinlein l’utilise dans
Au-delà du crépuscule et
Le chat passe-muraille (clin d’oeil phonétique, le héros de R.A. Heinlein se nomme Campbell).
Ici, Anna Combelles, s’en sort avec brio et apporte sa touche personnelle en attribuant le pouvoir créateur au lecteur plutôt qu’à l’auteur.
La narration est bonne mais pourrait gagner un peu en fluidité : certaines phrases sont vraiment très longues et l’auteur a trop travaillé ses dialogues, voulant éviter à tout prix les répétitions de “... dit untel"
Quelques exemples :— Coupez ces tresses ! ordonna-t-il.
— Je ne peux pas, murmura Coline.
— S’il vous plaît, il souffre ! avala-t-il.
...
— On ne peut pas le laisser là, cloua Cassiodore.
...
— Certains mots ont le pouvoir d’effrayer... marmotta-t-il
...
— Tu gaspilles ce bien précieux, petit ! argua le charretier.
— Il y aura bien un puits là-dedans, contesta-t-il.
— S’il est tari comme le dernier, tu regretteras ton geste, baragouina l’homme
Je me rappelle que dans
Ecriture, Stephen King privilégiait au contraire les “dit” et expliquait que le ton (grogner, gronder, chuchoter...) devait être donné par le contexte. Je ne pense pas non plus que d’avoir trois “dit” dans un même dialogue soit gênant, moins en tout cas que des pseudo-synonymes porteurs d’un sens qui ne convient pas forcément.
Ceci dit, j’ai pris un réel plaisir à explorer cet ensemble de monde et à vivre avec ses protagonistes. J’espère juste ne pas en avoir créé un nouveau...
Bien, maintenant abordons vraiment l’histoire. Dans celle-ci, les lecteurs “puissants” peuvent donner vie aux créatures et/ou mondes des livres qu’ils lisent. Et bien entendu pour éviter l’anarchie, il faut des gardiens et des frontières. Le Voile, grande force magique, sépare notre monde “normal” des mondes où sont parqués les monstres. Les “gardiens” inflexibles et invisibles pour les humains, viennent les chercher chez nous et font leur maximum pour éviter que d’autres ne soient créés. Mais là ce serait le “Meilleurs des mondes” et correspondrait au souhait des créateurs du Voile. Dans les faits, les “gardiens” ont aussi des sentiments et ces petits grains de sable donne tout l’intérêt de cette histoire. Au fil des chapitres, nous naviguons, sans perdre le cap, entre les couches de cette structure :
- Le monde réel : il est “normal” bien entendu, les relations entre les personnages sont profondes et vives
- le monde du Voile : on comprends au fur et à mesure ses règles, même si pour ma part j’aurais aimé en savoir plus
- le monde de “Nathan” : très orienté “heroic fantasy”. Je l’ai trouvé un peu moins vivant que le monde réel, mais c’est probablement voulu, c’est un monde en cours de création. Par contre, j’ai eu du mal pour comprendre la mesure du temps (entre les lunes, les cycles de lune, je me suis perdu plus d’une fois). Intéressant aussi de voir les ajouts de son créateur (Nathan) et ses sources d’inspiration.
- les autres mondes imaginaires : ils ne sont qu’effleurés malheureusement... J’ai déjà été très long, mais je veux quand même aborder rapidement trois passages du livre :
- la quête du Mage et du Chevalier dans leur monde : je l’ai trouvé un peu longue et froide, pourtant des sentiments existent ;
- le combat final : très vivant, très imagé, un vrai régal ;
- l’épilogue : particulièrement vicieux ! Au moment où je pensais avoir fait le tour de cette histoire, de ces mondes, même s’il me restait quelques interrogations a priori mineures... Tout s’écroule, ou plutôt un personnage prend un nouveau rôle et relance la donne !
Vous l’avez compris, ce n’est que le premier tome d’une saga qui devrait nous amener encore plus loin, enfin je l’espère, dans le principe du “mythe comme réalité”.