L'Homme qui peignit le dragon Griaule
2012
1 h
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En 1853, dans un lointain pays du Sud, en un monde séparé du nôtre par la plus infime marge de possibilité, la vallée de Carbonales, une région fertile entourant la cité de Teocinte et réputée pour sa production d’argent, d’acajou et d’indigo, était placée sous la domination d’un dragon nommé Griaule. Il y avait d’autres dragons en ce temps-là, vivant pour la plupart sur des îlots rocheux à l’ouest de la Patagonie — de minuscules créatures irascibles, dont la plus grande avait à peine la taille d’une alouette. Mais Griaule était l’une des Bêtes géantes qui avaient régné sur un âge antique. Au fil des siècles, il avait grandi jusqu’à mesurer sept cent cinquante pieds au garrot et plus de six mille pieds de la queue au museau. (Il convient de préciser ici que la croissance des dragons n’était pas due à l’apport de calories, mais à l’absorption d’une énergie engendrée par le passage du temps.) N’eût été un charme mal jeté, Griaule aurait péri depuis plusieurs millénaires. Saisi de crainte à l’instant décisif, le sorcier dont la mission était de l’occire — et qui savait que l’effet de ricochet magique mettrait sa vie en péril — avait raté sa cible d’un pouce du fait de cette minuscule défaillance. Bien que l’on ait perdu toute trace du thaumaturge, Griaule était demeuré en vie. Son cœur avait cessé de battre, son souffle s’était tu, mais son esprit continuait d’écumer, d’émettre les sinistres vibrations qui asservissaient tous ceux qui restaient trop longtemps dans son champ d’influence.